Retour des déplacés internes : «Il faut agir avec clairvoyance», Jérémie Yisso Bationo, enseignant chercheur Spécial

mardi, 03 mars 2020 10:38 Écrit par  Infobf.net Publié dans Mars 2020

Ceci est une analyse de la situation nation, faite par Jérémie Yisso Bationo, enseignant chercheur à l'Université de Ouagaougou. Jettant le regard sur le cas des déplacés internes notamment sur leur retour dans leurs localités d'origines respectives, Jérémie Y. Bationo estime qu'il faut agir "avec célérité certes, mais dans la clairvoyance ".

Le 20 février 2020, le Président du Faso a communié avec les déplacés internes de Dori et de Kaya, en marge de l’inauguration du centre hospitalier régional (CHR) réhabilité et de la nouvelle gare routière de Dori. En ces moments particulièrement difficiles pour nos compatriotes qui ont fui l’insécurité, cette visite vaut son pesant d’or. Il appartient à tous les Burkinabè de s’inscrire dans la dynamique de la solidarité agissante envers les fils et filles du pays déplacés pour qu’ils puissent bénéficier de meilleures conditions de vie en entendant leur retour sur leurs terres. Dans les conditions qui sont les nôtres actuellement, appeler au retour immédiat des déplacés serait suicidaire. Les questions humanitaires et sécuritaires ne peuvent être gérées à la sauvette ou selon les humeurs du moment.

Les autorités doivent agir avec célérité certes, mais dans la clairvoyance avant tout. Selon la convention de Kampala sur les déplacés internes, « les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays sont des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État ». Le déplacement de population se déroule généralement en trois temps. L’avant-déplacement correspond à la période où l’État doit mettre l’accent sur la prévention des causes susceptibles de mener à un déplacement.

Le déplacement lui-même est le temps durant lequel l’État doit se concentrer sur l’aide et la protection des personnes déplacées et des groupes sociaux concernés et prendre des mesures pour remédier aux causes du déplacement. L’après-déplacement intervient lorsque les circonstances à l’origine du déplacement ont disparu. L’accent doit alors être mis sur l’élaboration de solutions durables pour les personnes déplacées, sur le développement et l’aide humanitaire et sur la mise en place de conditions d’existence durables. Ces trois phases ne sont pas indépendantes les unes des autres.

Quelle que soit la cause du déplacement, les difficultés propres aux personnes déplacées sont nombreuses et complexes. Des visites dans quelques sites d’accueil et des témoignages recueillis auprès des PDI nous permettent de répertorier quelques grandes difficultés. L’abandon du domicile crée le besoin immédiat d’un abri temporaire et, selon la durée du déplacement, la nécessité d’un accès à un logement semi-permanent, voire permanent, ailleurs que chez soi. La perte des documents d’identité est également mentionnée. C’est un problème récurrent dans ce type de situation.

La conséquence, c’est que certaines personnes peuvent se voir fermer l’accès au services publics et se voir empêcher d’exercer leurs droits civils, notamment le droit de faire appel à la justice ou de participer à la vie politique et de voter. Que dire du réseau social et du noyau familial des personnes déplacées morcelés, voire détruits. S’ils ne sont pas accompagnés, les personnes âgées et les enfants sont particulièrement exposés à l’exploitation et à la discrimination. A la difficulté de surmonter le traumatisme du déplacement, s’ajoute celle de ne pas avoir de réseaux là où ils s’installent. Les femmes sont particulièrement vulnérables, en particulier lorsqu’elles voyagent seules, ou lorsqu’elles sont à la tête de la famille, un rôle qui, parfois, ne leur est pas reconnu.

Les personnes déplacées n’ont pas nécessairement accès à l’emploi (et n’ont pas de moyen de gagner leur vie), ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas acheter de la nourriture et avoir accès à des services élémentaires. Enfin, les besoins des personnes déplacées en matière de santé sont souvent importants, d’autant plus que ces personnes n’ont pas un accès suffisant aux installations sanitaires et aux services médicaux. Depuis de nombreux mois, ils sont des milliers de Burkinabè à vivre dans ces conditions particulièrement drastiques. Les autorités en sont conscientes et des efforts sont consentis pour la prise en charge de ces compatriotes qui n’ont rien fait pour mériter un tel sort décidé par des forces obscurantistes.

Le déplacement du Président du Faso sur le terrain visait à traduire à ces PDI le soutien de la nation entière et surtout à les rassurer des mesures qui seront prises pour qu’elles puissent retourner et vaquer sereinement à leurs occupations. C’est justement au niveau des mesures à prendre qu’il faut se garder de confondre vitesse et précipitation.

De la nécessité d’une stratégie pour le retour des déplacés

Après avoir fui l’horreur pour retrouver une relative quiétude là où elles sont présentement installées, les personnes déplacées internes ne peuvent pas être réinstallées à leur emplacement initial sans un minimum de conditions. Une véritable stratégie pour le retour et le relèvement des PDI s’impose. Cette stratégie peut être opérationnalisée à travers 03 axes. Dans un premier temps, il s’agira de fournir aux personnes en situation d’urgence une assistance coordonnée et intégrée, nécessaire à leur survie. Cela se traduit par le renforcement de la présence de l’Etat et des acteurs humanitaires dans les zones potentielles de retour, la fourniture de l’assistance alimentaire et des articles non alimentaires, le soutien médical et psycho social, la fourniture des kits scolaires, le développement d ‘ actions de prévention et de gestion des Violences Basées sur le Genre Il faut ensuite assurer la réinsertion socio économique des PDI en renforçant la cohésion sociale.

Cet axe peut se matérialiser à travers le renforcement du dialogue intercommunautaire, des capacités de médiation au niveau local, des projets communautaires de renforcement de la cohésion sociale, la mise en œuvre de projets communautaires à impact rapide dans les secteurs de développement, l’appui à la réhabilitation et à la reconstruction des abris, l’appui à la délivrance de documents administratifs,… Il faut enfin renforcer la résilience des populations à travers la réhabilitation et le renforcement des services sociaux de base, le développement d’AGR en faveur des populations vulnérables, le soutien à la production agricole, à l’élevage, à la pêche, à l’artisanat et au commerce.

La stratégie nécessite des interventions multisectorielles. Les solutions durables doivent être mises en œuvre de manière collaborative et inclusive, avec la coordination de tous les acteurs impliqués dans l’humanitaire et le développement, des autorités nationales, des populations affectées, de la société civile,… Mais avant que toute la stratégie ne soit déployée, tous les Burkinabè doivent manifester leur solidarité envers les PDI. Le déplacement sur le terrain du chef de l’Etat permettra sans doute de donner un coup de fouet au processus pour alléger dans des délais raisonnables la souffrance de milliers de compatriotes.

 

Jérémie Yisso BATIONO

Enseignant chercheur Ouagadougou

 

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